Voilà un métier passion, qui nécessite un véritable savoir-faire, une réactivité à toute épreuve et une précision de tous les instants. Cette profession n’est autre que cordeur professionnel indépendant sur le circuit ATP et WTA.
Les raquettes, les cordes et autres grips rythment les journées de Benoit Mauguin. En déplacement plus de 40 semaines dans l’année, il côtoie des joueurs et des joueuses d’exception à l’image de la russe Maria Sharapova, d'Andy Roddick, Tommy Haas, Ivan Ljubicic, Tommy Robredo, Marin Cilic, Victoria Azarenka, Tomas Berdych et plus récemment Gaël Monfils.
Et quand Benoit n’est pas présent sur le Tour, c’est à Eaubonne, dans le Val d’Oise, qu’il fait partager son expertise à ses clients dans son magasin spécialisé ‘Match Point’ (les aficionados de Woddy Allen se retrouveront dans ce nom évocateur !).
Entretien avec un jeune trentenaire qui parcourt la planète à la recherche de la tension parfaite…
Le quotidien palpitant d’un cordeur privé...
Benoit Mauguin : « Après une expérience de 4 ans au sein d’une société américaine qui proposait aux sportifs des services personnalisés, notamment des prestations de cordeur, j’ai monté mon propre service de cordage personnel nommé « Nec Plus Ultra ».
Actuellement j’ai 3 athlètes qui font appel à moi sur l’année : Maria Sharapova, Féliciano Lopez et Gaël Monfils. Et j’ai encore la possibilité d’intégrer un joueur à ce programme.
En règle générale, ma présence se fait sur les 4 tournois du Grand Chelem et les 9 Masters 1000. Après si je peux me libérer sur quelques tournois supplémentaires, les athlètes ne sont pas contre !
Mon rôle est d’identifier les besoins du joueur, de comprendre son mode de fonctionnement, et de réussir à gommer les incertitudes autour du cordage de sa raquette.
La rencontre avec Gaël Monfils :
Je travaille avec Gaël réellement depuis le début de cette année. Mais nous sommes de la même génération, nous sommes tous les 2 nés en 1986 ! Comme j’ai écumé pas mal de tournois en tant que cordeur quand j’étais étudiant, nous avons eu des contacts amicaux. Et puis Gaël a pris la décision de se restructurer et de faire appel à mes services.
La tension de cordage pour Gaël :
La particularité avec Gaël c’est que justement il ne demande aucune adaptation particulière, il veut systématiquement le même résultat à savoir une tension entre 26/25 kg. Indépendamment de la température, des conditions météos, de la surface…
Sa raquette est relativement lourde, ce qui lui apporte une certaine puissance. Son cordage polyester couplé à un tamis dense lui offre tout le contrôle dont il a besoin.
La relation joueur/cordeur privé :
Je fais partie de la team sans être impliqué au quotidien J’ai une certaine distance du fait que je m’occupe de 3 à 4 joueurs à l’année. Je ne peux donc pas être H24 avec l’un d’entre eux. Et j’ai besoin d’ailleurs d’un certain écart et de discrétion également.
La valeur ajoutée de Benoit Mauguin, son petit truc en plus !
Je ne me présente pas comme un cordeur privé mais comme un cordeur personnel à savoir que je suis la seule et unique personne qui s’occupe de leurs raquettes. Du début à la fin d’un tournoi, je gère exclusivement leur matériel, il ne passera pas dans les mains d’un autre cordeur. Et je crois que c’est ce qui leur plaît !
Nadal, Nishikori et Ferrer font figure d’exception chez les Top Players, mais les autres font appel à un cordeur personnel.
Les joueurs cherchent aujourd’hui à tout optimiser : leur matériel, leur diététique, leur récupération, leur préparation physique, et leur cordage. Le résultat final peut varier d’une corde à une autre, donc la précision et une connaissance parfaite des exigences du joueur sont essentielles.
Le temps de préparation d’une raquette :
Il faut compter une trentaine de minutes avec décordage, nettoyage, pose du cordage, du logo, du grip et la mise sous plastique. C’est une cadence importante mais nous sommes habitués !
La préparation et la routine des tennismen/women :
Sharapova c’est 12 raquettes en moyenne à livrer par tournoi, Lopez entre 7 et 8, et Gaël de 7 à 9.
Pour Maria, je coupe 2 raquettes après le match et je les refais pour le lendemain. On cherche à optimiser au maximum la perte de tension qu’il pourrait y avoir en 1 nuit. Maria demande la même exigence avec une raquette identique en l’entraînement qu’à celle en situation de match.
Et quand Gaël me confie ses raquettes, il veut avoir la certitude qu’il n’y aura pas de changement dans son matériel, que tout soit pareil. Pour Lopez, on ajuste plus la tension selon humidité et les sensations.
Sa présence sur les matchs de son Team de joueurs :
En règle générale, je me trouve dans le stade ou bien derrière ma machine à corder à l’hôtel quand Gaël, Maria ou Feliciano joue.
Il peut arriver qu’on soit très speed pendant un match parce qu’il faut aller corder à l’extérieur de l’enceinte et revenir au plus vite. Dans ce cas-là les chauffeurs officiels sont mes meilleurs alliés !
Mais pour certains matchs à gros enjeux j’aime bien aller dans la Box des joueurs bien sûr…
La logistique liée au métier de cordeur personnel :
Nous sommes un service de cordage extérieur aux tournois donc j’installe à chaque fois ma machine à corder dans ma chambre d’hôtel ou bien dans l’appartement que j’ai loué. Ce qui nécessite une certaine logistique et une organisation rigoureuse !
Je te laisse imaginer le transport d’une machine à corder au poids avoisinant les 70 kilos, les démarches administratives, le dédouanement, mais ça va je commence à être rodé !
Pour l’Europe et les Etats-Unis, j’envoie toujours mon propre matériel et outillage. Mais parfois pour la tournée asiatique, je m’arrange avec les différents équipementiers pour avoir une machine sur place.
Pour la petite anecdote, j’étais sur la route direction Rome lors de la finale de Monfils face à Nadal à Monte Carlo. J’ai déposé la machine à corder, elle nous attend pour le Masters 1000 italien !
Son parcours :
Quand j’étais étudiant en STAPS j’ai été cordeur sur différents tournois français pour Tecnifibre notamment. Mes vacances coïncidaient souvent avec le Masters de Bercy ou l’Open de Moselle par exemple, je pouvais ainsi me familiariser avec ce milieu et emmagasiner de l’expérience.
A la fin de mes études j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour voyager et en profiter pour être cordeur sur quelques tournois étrangers. Et finalement ma vie professionnelle a pris un tout autre tournant !
Son expérience de cordeur à l’IPTL en 2015 :
Un concept novateur et rafraîchissant aussi bien pour les sportifs que pour nous. Nous avons travaillé pour l’ensemble des joueurs sans distinction. Avec 433 raquettes de cordées pour 21 joueurs dans 5 pays différents, le rythme était soutenu !
Mais les conditions de travail étaient optimales. On a pu disposer de machines à corder sur place grâce à un partenariat avec Tecnifibre. Ils nous ont mis à disposition plusieurs machines et en contre partie nous avons formé leur équipe technique présente sur place.
Andy Roddick, star ultime pour Benoit ?
J’ai eu deux joueurs que j’ai vraiment admiré : Andy Roddick et Leyton Hewitt. Et bien j'ai eu la chance d'être cordeur pour Roddick pendant plusieurs années, je peux dire que ce fût un certain accomplissement personnel et une grande satisfaction.
Après mes diverses expériences sur le circuit m’ont permis de désacraliser les joueurs pros et d’être plus à l’aise à leur contact.
L’anecdote du moment :
Tu me croiras si tu veux mais Gaël a une exigence musicale quand je corde ses raquettes ! Il m’a confié une playlist que je dois utiliser.
Je n’ai pas le droit de dévoiler qui fait partie de cette playlist mais on a fait un pacte avec Gaël, le jour où il gagne un gros tournoi, on parlera de ces artistes qui font danser les cordes !
Une ambition particulière ?
Si j’avais un objectif en tête dorénavant cela serait d’accompagner un jeune joueur jusqu’à la place de N°1, d’aller au bout du chemin ensemble en lui apportant mon savoir-faire sur le volet cordage.
Cela a déjà été en partie le cas avec Maria Sharapova puisque notre collaboration a débuté après son retour de blessure en 2008 (9 mois d’indisponibilité à cause d’une opération à l’épaule). C’était un peu une 2e carrière qui débutait pour elle et elle a triomphé par la suite 2 fois à Roland Garros. On touchait au Graal !
L’équilibre entre sa vie de cordeur pro et sa vie de gérant de magasin :
Même si cela est finalement peu souvent sur l’année, j’aime revenir pour m’occuper du magasin parce que je retrouve la réalité des choses et de la vie. Mes clients ne sont pas millionnaires au contraire de certaines personnes que l’on peut côtoyer sur les tournois !
J’apprécie donc de garder la tête sur les épaules et cette relation avec le client.
Le positionnement du magasin ‘Match Point’ :
On essaye avec mon associé Benoit Allet de proposer quelque chose de différent, d’aller plus loin dans le choix et la personnalisation du matériel. Nous utilisons notre expérience technique engendrée auprès des pros pour l’adapter au grand public. Par exemple, on peut se targuer d’avoir été dans les labos de Head ou Wilson pour disséquer différents modèles de raquettes.
Quand on conseille un client, nous nous éloignons beaucoup du marketing à outrance autour de la raquette. Nous essayons de proposer une vraie personnalisation que ce soit au niveau du grip, du cordage, d’accompagner le pratiquant, d’obtenir un matériel précis et minutieux.
Le conseil fait partie de notre ADN, et l’optimisation du matériel représente un vrai plus pour nos clients. »